L’atelier Écriture et vin s’est tenu à Condrieu, au cœur du vignoble du Clos de la Bonnette.
Isabelle Guiller et Henri Montabonnet, vignerons indépendants ont ouvert leur grande salle pour accueillir les huit participants réunis par le goût des mots et du vin.
Ils ont présenté le vignoble et leur travail, celui herculéen qui a été nécessaire pour reconstruire et réaménager les chaillées, celui dur et quotidien de la culture de la vigne, de la récolte des raisins et de l’élevage du vin.
L’animateur Gil Jamon a guidé leur chemin d’écriture à partir de quatre grands crus : un merveilleux Condrieu, aux arômes complexes et délicats, un Syrah encore jeune et plein de promesses, un Saint Joseph vénérable et fruité et un Mont Louis pétillant pour clore la fête. Il en reste des textes plein de délices et d’histoires.
Les délices
Une morne soirée en perspective car on n′a rien prévu. Je reste dans mon coin, irritée de ce vide, prête à trouver prétexte à un reproche, j’ai le cœur ronchon. Je sors quelques instants et quand je rentre, le feu est allumé et deux verres brillent sur la table basse. « J’ouvre une bouteille de Viognier ? » me propose-t-il. Ah quel délice !
Une ronde de parfums tourne dans mon palais et m’enivre. J’essaie d’en attraper au passage mais ils m’échappent. Et soudain, j’en reconnais un fruité et acidulé, celui de la griotte. « Ah quel délice ! ».
Casablanca, déjà trois jours sans boire une goutte d’alcool. Chaque jour, nous arpentons les rues ensoleillées de cette cité blanche. C’est superbe, mais le soir, nous devons nous contenter d’un soda pour accompagner les plats parfumés de la cuisine marocaine. Ce soir, avec un air de conspirateur, un serveur sort de son tablier un rosé frais et remplit mon verre. « Ah, quel délice ! »
Le goût du vin
Une scène, un lieu, un décor, un personnage qui goûte.
Une phrase exclamative en clôture
Elle revenait du jardin, tenant d’une main un panier rempli de cosses vertes, et de l’autre son tablier replié sur quelques oignons. Ils sont beaux les petits pois cette année et en avance. Cela nous fera une belle cuisine pour midi… Mais Dame, il se fait soif… et puisque l’eau ne la rafraichissait pas, elle se dit qu’il restait une bouteille de pétillant à la cave.
Elle descendit les marches et sans même allumer, guidée par la connaissance des lieux, elle attrapa la dernière bouteille de Saumur.
Dans la cuisine, elle sortit un verre, délivra le bouchon de ses liens métalliques et remplit son verre sans ménagement, laissant une bonne part aux bulles.
Elle vida le verre à large traits, s’emplissant le gosier. Les bulles piquaient son palais de notes vives et fraiches. Les fatigues de la matinée s’évanouissaient. Elle se resservit rapidement mais but cette fois plus attentive au goût et au plaisir fruité.
Pendant qu’elle écossait ses petits pois, elle garda son verre près d’elle, le vidant lentement à petites gorgées.
Le pétillant devenait tranquille comme elle…
Sous le pont de la goélette, vingt barriques de Bordeaux solidement amarrées font route vers la Martinique. Le marquis de Saint Julien, entend bien valoriser sa récolte. Une partie du vin sera vendu à peine débarqué au planteurs. Les riches propriétaires de l’île se disputeront ce bon vin de Bordeaux. Cela changera un peu du rhum. Le reste répartira vers la France bénéficiant de l’action bénéfique d’un vieillissement accéléré en barriques de chêne. Les plus fins spécialistes conviennent tous que cette traversée fait merveille sur les grands crus.
Au plus profond de la cale, Tout n’est que gémissements et bruits de chaine. Dans une nuit plus noire qu’une barrique, des hommes attendent la fin d’un voyage. Ils n’ont plus rien, ils ne sont plus rien. Enchainés les uns aux autres, chacun de leur mouvement est une torture. Ils vomissent la bouillie aigre que leur bourreau leur sert.
Ils vomissent cette effroyable traversée.
Martine Carpentier
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